Critique du livre
- The Wasp Factory (1984)

le 19/05/2012 par lorrain

Voici un petit roman sur un jeune homme pas joli joli qui a passé son enfance avec des gens de son âge, à les tuer, par exemple son demi-frère, sa cousine. Son autre frère vient de s’échapper de l’hôpital psychiatrique où il résidait à cause de la manie qu’il a de brûler les chiens des voisins et de lancer de la vermine sur les petits enfants… Une histoire qu’on qualifierait assez volontiers de noire, de gothique, d’épouvantable ou encore de complètement déglinguée.

Vous avez peut-être déjà entendu parler de l’auteur écossais Iain Banks, et vous avez droit à un poing de fidélité dans la gueule si c’est dans les colonnes avoisinantes. Si je me permets de rabâcher son nom, c’est que ces deux bouquins m’ont paru assez autonomes pour le mériter. Ils sont si différents qu’il est surprenant de les savoir sortis de la même plume. Il faut dire que Banks est un vrai auteur Scotch, du double face: connu aussi sous la variante tripartite Iain M. Banks (on devine que c’est le même si on est un peu malin, hein?) pour avoir publié une dizaine de romans de SF, Iain Banks, de son nom complet Iain Menzie Banks, dont je rabâche que je rabâche le nom, Iain Banks donc est aussi l’auteur d’une bonne quinzaine d’autres romans parrus sous ce dernier nom (Iain Banks), dont The Crow Road auquel j’ai déjà affligé un article. Alors que ce dernier roman d’Iain Banks peut être vu comme une vaste fresque familiale et sociale qui regorge de bon sens, de générosité, d’humour, The Wasp Factory, au contraire, en premier roman tout à fait scandaleux d’Iain Banks, est un dard en métal d’une froideur machinale et pourtant brûlant par son venin, un condensé de cruauté, de psychopathologie morbide et manipulatrice. Ici, le narrateur unique (à l’inverse de la polyphonie de The Crow Road) nous fait visiter son monde à part, insulaire tant par sa géographie que son isolement social et sa philosophie occulte et malade…

Father still hadn’t come back. Perhaps he was going to stay out all night. That was extremely unusual, and rather worrying. Perhaps he had been knocked down, or had died of a heart attack.

I’ve always had a rather ambivalent attitude towards something happening to my father, and it persists. A death is always exciting, always makes you realise how alive you are, how vulnerable but so-far-lucky; but the death of somebody close gives you a good excuse to go a bit crazy for a while and do things that would otherwise be inexcusable. What delight to behave really badly and still get loads of sympathy!

But I’d miss him, and I don’t know what the legal disposition would be about me staying on here by myself. Would I get all his money? That would be good; I could get my motorbike now instead of having to wait. Jesus, there’d be so many things I could do I don’t even know where to start thinking about them. But it would be a big change, and I don’t know that I’m ready for it yet.

I could feel myself starting to slide off into sleep; I began to imagine and see all sorts of weird things behind my eyes: maze-shapes and spreading areas of unknown colours, then fantastic buildings and spaceships and weapons and landscapes. I often wish I could remember my dreams better….

Two years after I killed Blyth I murdered my young brother Paul, for quite different and more fundamental reasons than I’d disposed of Blyth, and then a year after that I did for my young cousin Esmerelda, more or less on a whim.

That’s my score to date. Three. I haven’t killed anybody for years, and don’t intend to ever again.

It was just a stage I was going through.

Ces quelques paragraphes (dont les trois derniers sont donnés en quatrième de couverture de la très belle édition Abacus) donnent une idée du personnage à qui on a affaire. Le gosse a maintenant dix-sept ans et au moment de s’endormir, il repense avec délectation à ses meurtres si habilement maquillés qu’ils demeureront certainement insoupçonnés, au « délice » d’un deuil contrefait, à la situation privilégiée que la mort d’un proche confère!?… Ce monstre de Frank Cauldhame a bien de quoi nous glacer le sang. Maniaque du contrôle, il joue avec les gens; il en dispose s’ils le gênent, que son indisposition soit directe ou alors d’une valeur symbolique qu’il projette dans son monde aux fonctionnements occultes. Vers l’âge de douze ans, il tue sa cousine Esmerelda plus ou moins sur un coup de tête. (C’est horrible mais il y a de l’humour, un des plus noirs qui soit, dans la juxtaposition du fait de tuer sa cousine et la désinvolture de le qualifier plus ou moins de caprice.) On apprend aussi qu’il massacre ses animaux de compagnie (trente-sept selon son carnet de bord) pour se donner un prétexte à creuser dans le jardin de son père à la recherche du crâne d’un chien qui l’a mutilé à alors qu’il avait trois ans, un molosse au nom mystique de « Old Saul, the bandy-legged and ancient white bulldog my father kept–I’m told–because it was so ugly and it didn’t like women »; il tue ses gerbies, hamsters et autres cochons-d’inde en les substituant à la tête de volants de badminton et en les catapultant la tête la première dans la boue vers l’asphyxie, en faisant croire à son père que c’est pour des raisons scientifiques.

Avec son imagination doublée d’un syle troublants de vraisemblance, Banks nous fait voir de la déraison pure sans distance critique, nous plonge pour ainsi dans l’horreur par une immersion narrative douce et convaincante comme un bain d’acide. A défaut d’être raisonnable, le narrateur est intelligent et même cohérent, avec sa manière d’expiquer sans détour les abominations dont il est l’auteur et d’en suggérer des causes que lui même est peut-être conscient — par exemple, la morsure du vieux chien quand il était gosse.

I restrict my horizons for my own good reasons; fear–oh, yes, I admit it–and a need for reassurance and safety in a world which just so happened to treat me very cruelly at an age before I had any real chance of affecting it. (p.136)

[…] my injury–that thing which I knew would keep me in my adolescent state for ever, would never let me grow up and be a real man, able to make my own way in the world.

I threw away the feeling quickly. I had the Skull, I had the Factory, and I had a vicarious feeling of manly satisfaction in the brilliant performance of Eric on the outside as, for my part, I slowly made myself unchallenged lord of the island and the lands about it. (p.139)

Par bribes, et en l’occurrence tardivement, le narrateur donne de plus en plus d’éléments qui permettent de comprendre ses déviances. Le fait que le bulldog lui aurait arraché les parties génitales donne une cause possible à une frustration sexuelle, un désir de vengeance contre le sort et un genre de complexe de domination… Entre des explications plus ou moins crédibles et d’autres justifications complètement loufoques, Frank tente-t-il d’amadouer son auditoire, de s’attirer de la pitié? Sans autre point de vue, sans distance, le lecteur se retrouve dans la position inconfortable du témoin unique qui hésite à croire ce qu’on lui dit. Ce qui nous parvient est peut-être la vérité, peut-être pure affabulation, ou encore une vision à la subjectivité exacerbée par la démence. L’habileté de ce roman est à mon avis que des faits inquiétants par leur nature et relatés de la manière la plus réaliste viennent se teinter d’un effet fantastique purement modal, non pas comme un fait paranormal, mais plutôt comme une couche de verni opaque, un halo qui augmenterait l’étrangeté du récit sans en nuancer l’horreur tranchante… Ganz unheimlich! Mais très très bien écrit.

Étiquettes : ,

Un commentaire

  1. olivier olivier dit :

    C’est de qui ce roman? :)