Critique du film
Stalker (1979)

le 02/09/2011 par sylvain

Stalker de Andreï Tarkovski sort en 1979, la même année qu’Apocalypse Now, année un peu mystique donc. Le film, plus ou moins basé sur Roadside Picnic, une nouvelle de Boris et Arkady Strugatsky, nous entraîne pendant plus de 2h30 dans un monde trouble et inquiétant.

Le Stalker, interprété magistralement par Aleksandr Kaidanovsky, n’est pas un harceleur, mais plutôt une sorte de rôdeur christique, doué du talent de sentir des choses que d’autres ne voient pas, comme des fluctuations gravitationnelles ou des intentions cachées. Il sert de guide à un écrivain célèbre et un physicien qui veulent entrer dans la Zone. La Zone, on ne sait pas très bien ce que c’est, une météorite est tombée là un jour, des gens ont commencé à disparaître. Elle est protégée par des militaires mais à l’intérieur il n’y a personne, que des maisons en ruine, des tunnels humides, des flocons de neiges en été. On dit qu’il y a en son sein une chambre dans laquelle vos désirs les plus profonds sont exaucés… mais Dieu sait ce que quelqu’un peut avoir comme désir. Elle est truffée de pièges mortels, les lois de l’extérieur n’ont plus cours ici, il faut emprunter des chemins détournés, déjouer les feintes de notre esprit.

Mais y a-t-il vraiment un adversaire autre que soi-même? La Zone c’est un endroit où l’on plonge au fond de ses tourments, de sa propre vanité. Là on peut parler de ce dont on ne parle nulle part ailleurs. Et tous les masques vont tomber.

Stalker est un chef-d’oeuvre de lenteur. Les plans, très longs et surtout très beaux, emmènent le spectateur dans un monde onirique, aqueux et sec à la fois, sauvage et très humain, plein d’espoir mais complétement misérable. C’est une invitation à la méditation sur les zones obscures de son âme, sur la condition humaine avec tout ce qu’elle a de vain.

Tourné près d’une usine électrique désaffectée, avec tous les polluants que ça comporte (d’ailleurs pas mal de gens sont tombés gravement malades suite au tournage), le film donne l’impression d’une ère post-apocalyptique, la fin d’une civilisation. C’est un peu pour cette raison qu’il est dans la catégorie science-fiction, avec la météorite et les perturbations gravitationnelles ;) N’allez pas vous attendre à des tonnes d’effets spéciaux et des voyages intergalactiques, c’est plutôt de la science-fiction suggérée. En fait ça s’approche plus du genre fantastique. Il y a un truc étrange — cette Zone — dans un monde plus ou moins normal (pour la fin de l’URSS on s’entend), que les gens acceptent comme un fait et face auquel ils doivent trouver une posture. On pourrait aussi certainement en faire une interprétation totalement psychanalytique, mais j’avoue que je suis moins tenté, en plus de rien y connaître. Enfin disons que c’est un film ouvert à interprétations diverses.

Et puis il y a le russe, pour ceux qui aiment… Ça donne comme une dimension dramatique supplémentaire je trouve, comme si cette langue était faite pour écorcher les âmes. Enfin ça vient certainement de ma passion pour Dostoïevski et autres Gogol, mais on retrouve un peu dans ce film certains traits de caractère des personnages de romans russes, avec leur tendance à se poser des questions existentielles à tout bout de champ tout en ne pouvant se cacher sincèrement leur scéleratesse.

Stalker (1979) : Fiche technique

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Durée : 02:43:00

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4 commentaires

  1. Martin dit :

    Sachant que j’ai beaucoup aimé Stalker, est-ce que quelqu’un a des conseils sur la filmographie de Tarkovski ? Il a des autres films immanquables ?

    • sylvain dit :

      Dans le genre science-fiction il y a Solaris (dont Soderbergh a fait un remake en 2002 qui est pas mal non plus). Sinon dans les grands classiques il y a Andrei Rublev, aussi très bien mais alors complétement différent. Pour les autres je sais pas, j’avais vu le miroir il y a longtemps, mais trop jeune je n’avais pas compris grand chose… si tu fais des découvertes dis-moi ça m’intéresse aussi!

    • thibaud Thibaud dit :

      Personnellement, je recommande l’intégrale de sa filmographie disponible chez Potemkine. « L’Enfance d’Ivan » (1962) est son premier chef d’oeuvre (Lion d’or la même année à la Mostra), le récit tragique d’une révolte, celle d’un enfant qui a vu sa famille décimée par les balles allemandes durant la Seconde Guerre mondiale et qui décide d’aller au front. Un de ces grands films d’URSS, à mettre au côté d’un autre chef-d’oeuvre, « Come and See » (1984) d’Elem Klimov (un article suivra). Il y a également son cinéma d’après l’exil, « Nostalghia » (1983) est une oeuvre la fois dépressive et contemplative qui vaut le détour, ne serait-ce que pour sa photographie, et « Le Sacrifice » (1986) qui est le chant du cygne du Maître, à mon avis une des plus belles réalisations de l’histoire du cinéma.

  2. benoît benoît dit :

    Stalker, classique. Vrai que ça reste une expérience bien marquante vu comme le film t’implique, te prend par la main à la suite du stalker. Au final c’est toi et la zone, le dédale devient vraiment celui des efforts et des frontières de ton esprit, le trio étant au niveau symbolique comme trois aspects de l’âme humaine. Image finale que beaucoup désapprouvent mais que j’ai trouvé tétanisante. J’approuve pour Solaris (très agréable) et Roublev (théologique dans ta face), sinon il y a aussi Mirror, à l’atmosphère contemplative à fleur de peau. Pas fan de l’enfance d’Ivan (lol).