Critique de l'album
- Coin Coin Chapter One: Gens de Couleur Libres (2011)

le 31/08/2011 par benoît

Matana Roberts compte en sortir douze comme ça, et je suis bien trop affecté par ce premier album pour douter des capacités de cette saxophoniste alto New-Yorkaise à terminer son cycle « Coin Coin ». Remarquez, ça colle: le jazz, avec son grand âge, peut se permettre d’aller chercher au grenier sa boîte de photos et tenter de revivre son histoire, avec bien sûr la même vivacité qui a caractérisé son cheminement.

À cet effet, Coin Coin ressort un genre unique aux années 70: la musique black, celle qui un temps a uni funk, soul et jazz en célébrant l’identité noire et en politisant sa condition, à une époque où les gens étaient vraiment en colère, où certains formaient des gangs et préparaient les rues pour la venue du hip-hop… tout ça. Il y a des albums comme ça où les mots côtoyaient les instruments avec la même furie, de Scott-Heron à Max Roach et Curtis Mayfield en passant par Brother D. Ainsi, Matana Roberts parsème allégrement ce chapitre One avec des paroles qui racontent la mémoire afro-américaine et retracent son histoire. Une heure de jazz, une heure d’histoire compilée. Au niveau musical plusieurs extraits de jazz du début du siècle, mêlés au style général davantage avant-gardiste, contribuent à l’effet multi-temporel. Il est difficile de discerner les influences que Roberts incorpore dans son propre creuset, en partie parce que l’instrumentation est très riche et variée: personellement je suspecte à peu près tout du funk à la neo-soul.

Outre que le disque constitue un formidable voyage musical, aéré dès la fin de la première track introductive Rise par une ligne de piano d’une belle tristesse, l’album vaut surtout pour la qualité de ses couleurs, pour son opulence, sa forme et son unité quasi-orchestrales, sa passion, ses timbres et ses plein-de-son qu’on a pas dû entendre depuis Sanders. Le second morceau mérite justement d’être mentionné. Cris démentiels de Matana sur « fondu » batterie-synthé interrompus par un sublime thème de saxophone appuyé par la basse et la guitare électrique, spoken-word scandé (I was born a child of the moon in the year of 1742…), choeurs emphatiques, distortion free jazz, fade-out, son oriental et violons. Il y a quelque chose de classique, d’originel dans la puissance dégagée, et de très littéraire en fait dans la forme. Depuis là, l’album ne s’arrête pas vraiment, bien qu’il comporte son lot de méditations gospel, et il s’avère à peu de choses près parfait et être une pièce idéale, un classique instantané, passionnant tout en étant aisé à suivre et ouvrant des portes. Plutôt marrant que ce soit Constellation qui ait repéré cette perle, plutôt impressionnant que ce soit du live (à Montréal).

Vivement le second chapitre.

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Un commentaire

  1. Martin dit :

    A ceux qui n’ont pas encore écouté l’album : http://vimeo.com/23003301