Critique de l'album
- Homeland (2010)

le 31/10/2011 par olivier

J’ai découvert Laurie Anderson l’année dernière en compagnie de l’un des membres du peupl qui s’en rappellera sûrement, dans la bicoque d’un grand, vieux monsieur aux airs de sage, avec sa barbe argentée, sa pipe et des lunettes en demi-lune à peine utiles, un accent d’outre-Sarine à couper au couteau, et surtout un salon débordant de disques (eh oui, des vrais disques!). Après nous avoir fait écouter du Jimmy Giuffre, quelques bluesmen improbables et une version revisitée de Pierre et le Loup par Jimmy Smith à l’orgue Hammond, il a tiré de son étagère Homeland, de Laurie Anderson. Et de tous les albums qu’il nous a fait découvrir, c’est celui qui m’a le plus marqué, qui m’a fait le plus voyager dans les sphères étranges que je retrouve maintenant avec bonheur, alors même que je rédige cet article sur l’air de « Transitory Life », le premier morceau du disque.

Laurie Anderson a plus de 40 ans de carrière derrière elle, et a su pendant ce temps où elle a développé son art étrange fait de performance musicale d’abord, mais aussi d’art video et de spoken word, s’entourer de certains grands noms de la musique avantgardiste américaine comme John Zorn, Philipp Glass, Frank Zappa, John Cage ou encore Lou Reed (qui est depuis peu son mari). En 1981, elle sort le single « O Superman », son morceau le plus connu, qui résume assez bien sa démarche artistique:

Ce type de composition – voix modifiée au vocoder, boucles électroniques, texte mi-dit, mi-chanté – se retrouve sur Homeland, qui sort en 2010 après 10 ans de silence (c’est dire si l’album était attendu), mais apparaît totalement renouvelé. On entre dans le disque sur l’air romantique et alangui de « Transitory Life », morceau qui se développe avec élégance sur des notes de violon accompagnées d’une voix qu’on dirait psalmodiée depuis un pays inconnu et lointain (c’est en effet une chanteuse d’origine mongole qui s’en occupe), puis doublée par celle, posée, parlée, et enfin chantée, de Laurie. Le texte qu’elle récite, entre discours apocalyptique et délire poétique, est souvent difficilement compréhensible, mais qu’importe, parce qu’il suffit d’une phrase un peu sensée pour serrer les poitrines, d’un accord mineur sur le mot juste pour que la chair s’hérisse.

Afraid to breathe, afraid to rise
We run and run in this transitory life.
Tipped off balance we fall like Iight
We land on water in this transitory life.
We fall like light on water and water turns to ice.
Everything keeps changing in this transitory life.
Everything keeps changing in this transitory life.

« My Right Eye » poursuit cet élan lyrique sur un mode intimiste, amoureux, un peu méditatif (je n’aime pas trop ce mot, mais tant pis), tandis que le violon électronique de Laurie est toujours là, servant de lien, d’agent de cohérence; le texte est chuchoté, puis chanté sur des percussions discrètes qui semblent évoquer des battements de coeur. On ne se lasse pas de ce lyrisme un peu kitsch, mais tellement réussi.

Please forgive me if I fall short of your mark.
But there are things still buried in my heart, pause
Heart pause. Heart pause. Then vanish. Then vanish.

« Thinking of You » est un collage de mots lancés comme ça, aériens, virevoltants, et toujours cette répétition, ce « serinage » qui fait que la parole d’Anderson percute, empoisonne et charme à la fois les sens, aspect que l’on retrouve plus qu’ailleurs encore dans l’inquiétant « Strange Perfumes ». « Only an Expert » fréquente des voies totalement différentes, mais d’autant plus intéressantes qu’elles sont inattendues; au détour d’une rêverie neurasthénique, la techno reprend le dessus.

Bref, je m’arrêterai là, mon propos est décousu, je m’en excuse. Décrire vraiment cet album n’est pas dans mes cordes, je peux seulement vous dire combien je l’ai apprécié, combien ses textes valent la peine, combien ses compositions sont excellentes (notez à ce propos la présence de John Zorn sur les pistes 8 et 11, ainsi que de Lou Reed sur les 2 et 5). Un album ultra-abouti, à durée de vie quasi-infinie. On ne se lasse pas de cette parole exceptionnelle, de cette expérimentation permanente, à la fois musicale et littéraire, de cette fusion majestueuse de genres, de ce travail sur la voix, celle du corps, celle de la machine, celle du poète.

Where does love go when love is gone?
To what war-torn city?
Ooo those blue days that stayed too long.
What is love but a robin’s song?

 

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2 commentaires

  1. benoît benoît dit :

    (commentaire négatif ahead) Jamais pu blairer Anderson ou son mari, en tout cas passé quelques chansons (et Anderson a un côté fun) les deux j’aime pas leur ambiance :P