Critique de l'album
- Bad As Me (2011)

le 05/11/2011 par olivier

You’re the letter from Jesus
On the bathroom wall
You’re Mother Superior
In only a bra

Bad As Me, « Bad As Me »

Bad As Me est sorti il y a quelques semaines seulement, et il sonne déjà à mon goût comme un immense classique. Cinq ans après le triple album Orphans: Brawlers, Bawlers & Bastards (2006), composé de morceaux jusque là inédits, et sept ans après la somptueuse claque grailleuse générée par Real Gone (2004), Tom Waits revient avec une oeuvre géniale et profondément travaillée, qui possède en outre une capacité certaine à rétrograder subito bon nombre de crooners (wannabe ou non) au rang de chanteur d’opérette.

La particularité de Tom et de ses musiciens, dont les compositions atteignent selon moi l’excellence de celles de Real Gone, c’est qu’ensemble, ils savent à peu près tout faire, blues, folk, ballade, rockabilly, rock’n roll, brass band, mais le font en n’oubliant jamais de réinventer, de recréer, de triturer, en procédant simultanément à l’exégèse de ces genres et à leur immédiate destruction. L’album qui naît de cette démarche apparaît ainsi comme un objet polymorphe à l’extrême, tout à la fois fuyant, intraitable, foisonnant, aux accents tragicomiques, au ton absurde, au registre parfois lyrique, souvent burlesque, en un mot, grotesque. Qu’on ne s’y méprenne pas, rien de négatif là-dedans; car comme disait Hugo, le grotesque « est libre et franc dans son allure » (voir Préface de Cromwell), et Bad As Me se situe exactement dans cette perspective. Tom Waits se joue de tout, mais cette liberté lui permet de composer quantité de formes nouvelles, son ironie est une source intarissable de création. Dans ses morceaux, il fait se côtoyer sans scrupules ombres et lumières, difforme et gracieux, laid et beau (je cite toujours, à peu près, Hugo), au travers d’une voix elle-même tiraillée entre sublime et dégénérescence. Il y a en lui, par ailleurs, quelque chose du troubadour d’outre-tombe venu, tel un black rider, menacer et sauver en même temps notre monde par une parole qui le décrit presque totalement: un monde perdu, fragmenté, fou, mais où l’amour et la beauté ont toujours leur place.

La solution est dans la perdition, nous dit « Get Lost », où Tom se transforme pour l’occasion en une espèce d’Elvis revenu de chez les morts, mais passé entre deux par la case de l’île du docteur Moreau (vous noterez d’ailleurs la petite pique à « Love Me Tender »). Un peu avant cette escapade, c’est dans le navire « Chicago », promesse de jours meilleurs, que le capitaine nous a embarqué, sauf que déjà, les voiles ne sont absolument plus tenues. Entre deux , « Talking At The Same Time » calme le rythme en simulant la ballade, voix suave et blanche à l’appui, mais on parle bien de choses inquiétantes, même si le piano d’Augie Meyers nous fait croire l’inverse. Et alors, au milieu de l’album, c’est « Bad As Me », au détour d’une de ces chansonnettes auxquelles Tom Waits nous avait déjà habituées dans ses premiers disques, qui vient et nous fracasse la carcasse sur une ligne de batterie absolument sublime accompagnée des riffs échoïques de Marc Ribot et d’un sax justement dosé. Un morceau complètement fou, débridé, et qui nous intègre malgré nous dans sa spirale drôle et absurde puisque, nous dit l’artiste,  you are the same kind of bad as me. 

I’m the hat on the bed
I’m the coffee instead
I’m the fish or cut bait
I’m the detective up late

Bad As Me, « Bad As Me »

Tout le reste, je le laisse à votre bon jugement, en espérant que l’album vous plaira autant qu’à moi.

 

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2 commentaires

  1. lorrain dit :

    Ah je veux! Dès que j’ai une stéréo correcte à portée de main et une heure à rêver, j’envoie ça à fond.

  2. olivier olivier dit :

    Héhé! Clair, ça vaut le coup d’attendre!

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