slaughterhouse 5

Critique du livre
- Slaughterhouse 5 (1969)

le 22/06/2012 par ivan

Connaissez-vous l’improbable non-religion qu’est le « Dudeism » ? Il s’agit d’une « forme de taoïsme moderne dépouillé de ses prétentions métaphysiques », dont les membres aspirent, vous l’aurez peut-être deviné, à reproduire le plus fidèlement possible le mode de vie nonchalant et inoffensif du tout grand prophète Lebowski, protagoniste principal du film bien connu des frères Cohen. L’Église Dudeiste compte plus de 150’000 prêtres déclarés, et prétend siens un nombre de célébrités adhérant plus ou moins consciemment à ses préceptes, allant d’Héraclite à Snoopy, en passant, notamment, par Kurt Vonnegut.

Kurt Vonnegut

L’animal en question

Vonnegut, présenté par Vonnegut:

I’m an old fart with his memories and his Pall Malls. […] Sometimes I try to call up old girl friends on the telephone late at night, after my wife has gone to bed. ‘Operator, I wonder if you could give me the number of a Mrs. So-and-So. I think she lives at Such-and-Such.’

‘I’m sorry sir. There is no such listing.’

‘Thanks, Operator. Thanks just the same.’

And I let the dog out, or I let him in, and we talk some. I let him know I like him, and he lets me know he likes me. He doesn’t mind the smell of mustard gas and roses.

Ce qui est certain c’est que, Dudeiste ou non, Slaughterhouse 5 est un des livres les plus stoïques que j’aie jamais lu. Je dis bien stoïque et non cynique. Il faut quelques pages pour s’en rendre compte: l’auteur avoue à demi-mot, dès le début, qu’il s’agit d’un roman « anti-guerre », mais son style presque indifférent laisse initialement transparaître la fausse impression d’un auteur aigri, désabusé, insensible aux atrocités de la seconde guerre mondiale qu’il mentionne sans trop de description, certainement sans chercher à inspirer l’horreur ou la répulsion. Rapidement, cette impression disparaît au profit de celle d’un type qui cherche plus simplement –mais pas forcément avec succès– à éviter de se tourmenter, à ne pas vainement tenter de changer ce qui est dans le passé.

Tout le roman, d’ailleurs, gravite autour de cette notion du passé, ou plus précisément de celle du temps et de la manière illusoire qu’ont les humains de le percevoir. Cela peut sonner prétentieux, mais il n’en est rien. Jugez en vous-même; le roman débute ainsi:

Billy Pilgrim has come unstuck in time.

Billy has gone to sleep a senile widower and awakened on his wedding day. He has walked through a door in 1955 and come out another one in 1941. He has gone back through that door to find himself in 1963. He has seen his birth and death many times, he says, and pays random visits to all the events in between.

He says.

Billy is spastic in time, has no control over where he is going next, and the trips aren’t necessarily fun. He is in a constant state of stage fright, he says, because he never knows what part of his life he is going to have to act in next.

Billy a acquis cette drôle de capacité à naviguer sa vie par spasmes lorsqu’il s’est fait enlevé par des extraterrestres, les Tralfamadoriens, et ce sont eux, percevant le temps de la même manière que nous percevons les trois dimensions spatiales, qui lui ont enseigné son fatalisme – celui-là même que Vonnegut semble partager. Il devient clair que le bouquin a des aspects de science-fiction. Mais nous sommes loins des accents futuristes d’un Arthur C. Clarke par exemple. Tout au plus est-ce une manière pour l’auteur de justifier la vision appauvrie et illusoire de libre volonté qu’il impute aux humains:

There was a lot that Billy said that was gibberish to the Tralfamadorians, too. They couldn’t imagine what time looked like to him. Billy had given up on explaining that. The guide outside had to explain as best he could.

The guide invited the crowd to imagine that they were looking across a desert at a mountain range on a day that was twinkling bright and clear. They could look at a peak or a bird or a cloud, at a stone right in front of them, or even down into a canyon behind them. But among them was this poor Earthling, and his head was encased in a steel sphere which he could never take off. There was only one eyehole through which he could look, and welded to that eyehole were six feet of pipe.

This was only the beginning of Billy’s miseries in the metaphor. He was also strapped to a steel lattice which was bolted to a flatcar on rails, and there was no way he could turn his head or touch the pipe. The far end of the pipe rested on a bi-pod which was also bolted to the flatcar. All Billy could see was the little dot at the end of the pipe. He didn’t know he was on a flatcar, didn’t even know there was anything peculiar about his situation.

The flatcar sometimes crept, sometimes went extremely fast, often stopped–went uphill, downhill, around curves, along straightaways. Whatever poor Billy saw through the pipe, he had no choice but to say to himself, ‘That’s life.’

L’argument, si l’on veut, du livre, c’est que c’est cette illusion temporelle qui prête les humains à percevoir leurs actions comme libres. Lorsque Billy demande au Tralfamodoriens ce qu’il peut apprendre d’eux et amener en retour sur Terre, afin peut-être d’éviter de futurs guerres, il est perçu comme terriblement naïf. Le passé et le futur existent déjà et tout ce qui peut être fait, c’est en contempler les moments les moins désagréables. Cela explique la vision désabusée de la mort qu’acquière Billy, le fait que le roman est ponctué, à chaque décès, de cette phrase toute Tralfamodorienne: « So it goes. »

Il y aurait d’autres citations à inclure dans une critique complète du livre, les scène lunaires de Dresden après son bombardement par les alliés en février 1945, les exécutions ou les déportements de soldats américains par les Allemands. Il faudrait aussi noter que, tout stoïque qu’il est, le roman contient aussi certains passages réellement humoristiques. Mais pour ceux dont j’aurai réussi à piquer l’attention, je vous invite à lire ce court livre dans son intégralité (180 pages dans mon édition). Cela en vaut réellement la peine: le style est épuré mais parfaitement adroit, l’humour pinçant sans être excessif, et une philosophie sans appel de grandeur apparaîtra à celui qui la recherche, mais ne dérangera pas celui qui préfère l’ignorer.

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4 commentaires

  1. graphox dit :

    Merci pour cette introduction, j’avais justement prévu de lire ce livre lorsque j’aurais le temps, parallèlement à Catch-22 de Joseph Heller auquel on le compare souvent.

  2. olivier olivier dit :

    Ca l’air vraiment bien! Il paraît que le film (Roy Hill, 1972) tiré du bouquin vaut aussi le détour!

  3. lorrain dit :

    Oooh yeah… Plus de Dudeism! Tu m’en fais découvrir une bonne là, de spiritualité! Me réjouis de voir de quelle trempe est l’humour de ce bouquin, mais je suis déjà sûr que ça va me plaire.

  4. benoît benoît dit :

    M’intéresse itou. T’en as lu d’autres du bonhomme par hasard?

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