Critique de l'album
- Will The Guns Come Out (2011)

le 20/06/2012 par olivier

Les duos guitare-batterie, y’en a eu myriades, depuis que les White Stripes ont lancé le truc au début des années 2000: des Kills aux Black Keys, en passant par les Belges de Black Box Revelation, cette mixture s’est souvent avérée magique, donnant naissance à des titres puissamment rock et réveillant par la même occasion une nouvelle passion quasi-hystérique pour la musique un peu sale des fifties et sixties, époques nimbées de mythe, avec leurs bagnoles classes sans catalyseurs, leurs juke-box qui crachent du son jusqu’à la syncope et leurs mécanos plus suintants de sex-appeal que de cambouis. Hanni El Khatib, improbable skateur mi-palestinien mi-philippin né aux US en 1981, poursuit avec Will The Guns Come Out ce retour du rock au garage, avec tout ce que ça implique: album élaboré façon bricolage (le gus aurait enregistré son disque tout seul), constitué de onze petits morceaux serrés comme des poings fermés, où guitare et batterie s’entremêlent, s’alpaguent, s’agrippent, avec à l’appui une voix suave victime de l’effet corrosif d’un mégaphone qui entonne coup sur coup reprises et titres originaux. Mais alors, avec cette parentèle glorieuse, dont les effluves englobent un peu, comment qu’il tire son chou du bortsch, ce nouveau venu dans le club des bassophobes?

Cela va peut-être vous paraître un peu étonnant, mais Hanni El Khatib réussit justement parce qu’il ne semble pas vouloir absolument rénover le genre. Will The Guns Come Out s’exprime en effet à merveille parce qu’il se départit de la pression de l’originalité, pour se focaliser sur un blues rock énergique qui, au final, n’a rien à envier à ses prédécesseurs.

Après un « Will The Guns Come Out » à fonction épigraphique, l’album commence vraiment avec « Build, Destroy, Rebuild », qui répond immédiatement à la question du titre précédent: oui, les calibres vont sortir des holster, et ils vont fumer grave. On est ici en effet propulsé dans juste trois minutes de pur bonheur punk: deux accords de gratte (j’exagère à peine) que viennent intensifier une batterie en mode binaire et la voix de Khatib chantant « Ain’t no future […] no more culture » et exhortant sans cesse, en philosophe crasse, à la déconstruction et à la reconstruction. La suite, avec « Fuck It, You Win », singe presque les Black Keys, mais c’est tellement bien fait qu’on les oublierait, pour ne plus apprécier que le son graveleux d’une guitare bien saturée, de cymbales sèches qui déboitent par dessus une grosse caisse bien martiale et d’une voix chevrotante, à la fois ultra énergique et délicieusement languide. Pas des masses d’ornements dans tout ça, donc, si ce sont les quelques envolées hendrixiennes en fin de morceau, à l’outrance desquelles on se fait volontiers; on se piègera peut-être même en train de faire n’importe quoi avec nos mains sur une guitare qui n’existe pas, en même temps que le Hanni.

Tout soudain, c’est vers un registre pop rock qu’on glisse avec « Dead Wrong », qui délaisse un instant la disto au profit d’un truc plus ballade, presque folk (pour l’occasion, y a un peu triche, puisque on y entend ce qui me semble être une bonne vieille contrebasse). Mais le break est de courte durée: « Come Alive » commence comme un Rodriguo y Gabriela, et est vite trempé dans un acide considérablement plus caustique (avec une caisse claire à nouveau d’une sècheresse tout à fait à propos). Septième et huitième morceaux de l’album, « Heartbreak Hotel » et « Wait Wait Wait » sont des ilots blues et folk coincés entre deux flux sales et rouageux, qui prouvent que Khatib sait aussi poser un moment le jeu: le premier est une reprise géniale d’un morceau du King, tandis que le second est une sublime chanson d’amour, surtout parce que Khatib lui prête une voix véritablement travaillée, oscillant entre d’excellents changement de rythme et variant les modulations. On sort un peu du carcan White Stripes, et c’est tout à l’honneur de l’artiste.

Mais on y revient quelques temps plus tard avec l’excellent « You Rascal You »; les pédales ont refroidi, on peut maintenant leur donner à nouveau un grand coup de savates et entonner un morceau volontairement répétitif, blues rock à souhait:

« I’ll be glad when you’re dead
You rascal you
I’ll be glad when you’re dead
You rascal you
When you’re dead, in your grave
No more women will you crave
I’ll be glad when you’re dead
You rascal you »

Hanni el Khatib sait qui il a derrière lui, et ne fait pas semblant de ne pas le savoir. Il fait dans l’imitation, dans le mimétisme presque, et n’essaie jamais de masquer ce lourd héritage rock qui plane au dessus de lui. Au contraire, il en profite pour mettre en pratique ses gammes, et procéder à une délicieuse débauche d’énergie complètement dépourvue de prétention. Et cela lui permet aussi de tester des territoires que ses prédécesseurs n’avaient pas foulés, ou peu: le punk surtout, qui suinte d’un peu partout et donne une touche trash à l’ensemble, mais aussi la folk, très bien intégrée. C’est un peu ça, Hanni el Khatib: construire, détruire et reconstruire, dans un cycle sans fin ou presque, sans oublier à qui il doit le bulldozer.

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4 commentaires

  1. victor dit :

    Ça m’a donné envie, je suis allé écouter « You rascal you ». Mais… mais… c’est Gainsbourg, ça !

    Bonne reprise, quant au reste je connaissais pas du tout et ça me plait.

    • olivier olivier dit :

      Bien vu pour Gainsbourg! Je l’aurais pas vu comme ça, sans chercher! On sent le connaisseur:) Du coup ce morceau me paraît encore mieux!

    • lorrain dit :

      Moi non plus j’aurais pas vu le rapport!… Il a repris que les paroles, la vieille canaille!

      Sinon, vraiment bon son! Tout à fait d’accord avec la réussite sans quasi rien d’original, sauf la touche punk, et forcément, j’aime beaucoup le côté garage et sans futur de Build.Destroy… Avec un grand sourire au final!

      Et j’aime encore mieux ça de lui, les trois premières minutes… Ca déchire! http://www.youtube.com/watch?v=xcPtfRtwFJk&feature=relmfu

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