le 22/09/2011 par victor
« Whenever I hear the word culture, I bring out my checkbook. » ~Jeremy Prokosch
(Ne vous méprenez pas, il est effectivement en train d’écrire un chèque.)
Il existe peu de ces films montrant directement le monde du cinéma ou le tournage d’un film, ce qu’on pourrait appeler métafilms (plusieurs bons films posent cependant leur décor dans ce monde, citons notamment The Player, Barton Fink ou Adaptation). Parmi eux, Le Mépris est un assez extraordinaire exemple. (De bons exemples du genre seraient, à mes yeux, Zire darakhatan zeyton aka Au travers des oliviers de Kiarostami, que je vous recommande chaudement, ou La nuit américaine de Truffaut.)
Le Mépris (1963), de Jean-Luc Godard, avec Brigitte Bardot, Michel Piccoli, Jack Palance, Fritz Lang.
Le pitch du film est le suivant : La double histoire d’un film qui se fait, et d’un couple qui se défait. Et c’est bien joliment dit.
Paul Javal (Piccoli) est un romancier et écrivain de théâtre marié à Camille (Bardot). Ils vivent ensemble à Rome. Lui est réfléchi, posé, elle est impulsive, instinctive. Prokosch (Palance) est un stéréotype d’américain arrogant arrangeant tout à coup de dollars. En pleine production d’Ulysses (aussi appelé Odysseus dans le film), une adaptation d’Homère réalisée par Fritz Lang dont l’assistant réalisateur est Jean-Luc Godard (dans leurs propres rôles), il navigue entre Rome et sa splendide villa de Capri où se déroule le tournage.
Prokosch n’apprécie pas du tout la vision artistique dépouillée à l’extrême de l’Odyssée de Lang, ni sa liberté d’interprétation. En bon petit dictateur, il ne se gêne pas de reprocher à Lang de ne pas respecter le script initial, de tenter d’imposer sa propre interprétation de cette oeuvre et finit par demander à Paul d’en retravailler et terminer le script pour une certaine somme, après que ce dernier lui a présenté son épouse.
En conclusion de ce contrat, Prokosch invite le couple à un verre chez lui, mais son Alfa Romeo n’a de place que pour Camille, forçant Paul à s’y rendre en taxi. Camille et Paul échangent un regard. Se serait-il servi d’elle pour obtenir ce contrat ? Ce n’était pas son intention, mais le sait-elle ? Chez Prokosch, à l’écart, Paul donne une tape sur les fesses de la secrétaire du producteur. Pour Paul, le geste est sans arrière pensée. Camille, qui l’a surpris, le sait également. Mais Paul a peur de la méprise. Peu à peu, au fil de ses tentatives d’éliminer chez son épouse les (supposés) malentendus liés à cette dernière, Prokosch et le contrat, et l’épisode de la secrétaire, va naître chez Camille le mépris.
Film de Godard le plus abouti avec Pierrot le fou, Le Mépris est une de ces perles du cinéma français et un grand film culte de la Nouvelle Vague. La mise en scène est extrêmement forte, chaque plan et chaque cadrage semble servir le propos, certains sortent carrément du lot pour s’imposer comme une juris-prudence sur laquelle reposeront des générations de cinéastes (*le* cadrage des fesses de Bardot)¹ alors que d’autres restent pour moi du « jamais vu depuis » (le plan-séquence dialogue entre Paul et Camille, séparés par un luminaire et où la caméra passe d’un protagoniste à l’autre sans jamais changer de direction, long travelling latéral effectuant plusieurs allers-retours).
Cinématographié en *scope technicolor par le grand Raoul Coutard, l’esthétique est proche de la perfection et la palette de couleur particulièrement belle.
Le texte, les dialogues recèlent quelques perles que vous vous ferez le plaisir de relever. Certaines franchement humoristiques et évidentes, d’autres d’apparence anodine mais trop lourdes de sens pour relever du hasard (« Du pauvre BB, de Brecht »).
Parfois, c’est la nuance dans l’intonation de l’acteur qui fait douter duquel des doubles ou triples sens est le bon –et devrait-il vraiment y en avoir un bon ? Non content d’être servi pas d’excellents acteurs, le film bénéficie, dans cet étalage de polysémies et de nuances, du fait qu’on y parle français, anglais, allemand et italien, parfois sous-titré, parfois traduit directement dans la narration, parfois sans traduction. Et parfois sans compréhension des protagonistes entre eux. (Aucun hasard si vous pensez à Jarmusch en regardant ce film, d’ailleurs : ses références sont explicites.)
D’autres fois, ces clins d’oeil ne sont que visuels (Piccoli sortant du bain; les noms du clap; …).
Le film s’achève sur une pure séquence de méta-cinéma. Godard, à l’écran, dirige. Il annonce : « M. Lang, on est prêt ». « Silence, on tourne ». (Lang : « Caméra ».) « Moteur ». (Cameraman : « Partito ! » (« Ça tourne ! »)) « Clap ». « Avanti » (« action »). Et l’action, celle de la fiction, débute. « Travelling ». Et le travelling, celui de la fiction et du film, également. Le travelling diégétique sort du cadre caméra tournant le dos au spectateur, faisant écho au travelling diégétique sur lequel s’ouvre le film, entrant dans le cadre et se terminant caméra braquée sur le spectateur.
« Silence ! », « Silenzio ! » [FIN]
Vous ne manquerez pas de noter, pour terminer, le générique de début narré par Godard. Parce que si on se met à disserter sur le générique de fin, on n’est pas sorti de l’auberge. Quant à la musique composée par Delerue, elle aussi est devenue un mythe. Vous la retrouverez notamment dans Casino, de Scorcese.
¹ Paz de la Huerta dans The Limits of Control, par exemple ?
Réalisateur :
Auteur :
Acteurs :
Durée : 01:43:00
Étiquettes : 1960-1969, Brigitte Bardot, Fritz Lang, Jack Palance, Jean-Luc Godard, Michel Piccoli, Nouvelle Vague, Raoul Coutard, Ulysse
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J’avais lu le livre de Moravia jadis, qui m’avait fort plu, mais là faut absolument que je vois le film, étant également fan de la nouvelle vague…