Critique du film
Take Shelter (2011)

le 16/02/2012 par olivier

Curtis LaForche vit en Ohio avec sa femme Samantha, fille de famille protestante, et sa fille Hannah, qui est sourde-muette. Il est un de ces êtres qui parlent peu; entre l’impossibilité de parler sur son lieu de travail, à cause de l’incessant bruit de la foreuse qu’il manipule, et son impossibilité de communiquer autrement avec sa fille que par gestes maladroits, il reste le plus clair de son temps dans un mutisme quasi-forcé, inévitable. Mais parce qu’il désire offrir à sa famille le confort (une maison au bord de la mer, une opération pour sa fille), il ne sourcille pas, et paraît même mener avec eux une vie paisible. Jusqu’au jour où il est victime de violents cauchemars: son chien l’attaque, sa fille est enlevée. Et toujours, annonçant ou clôturant son délire, la menace d’une tornade dévastatrice. De plus en plus dérangé par ses visions, qu’il ne parvient pas à faire disparaître, il décide de construire dans son jardin un abri anti-tornade contre l’avis de tous, convaincu que ses rêves ont un caractère prémonitoire.

Le tonnerre qui annonce la tempête, on ne sait pas vraiment d’où il vient. Entre le ciel soudain noirci qui dévore les larges plaines de l’Ohio et le regard mutique de Curtis, il est difficile de savoir de quoi il faudra se protéger. La foudre, le vent dans les arbres, les oiseaux noirs qui volent en grappe et tombent parfois au sol, la pluie brunâtre qui s’abat soudain, entre boue, rouille et sang, tous ces signes sont en effet peut-être ceux d’un cataclysme qui guette Curtis non pas de l’extérieur, mais de l’intérieur.

« Is anyone seeing this? »

Cri de détresse d’un homme de moins en moins certain de l’irréalité de ses visions, lancé à la nuit tourmentée et au spectateur, tout confit d’impuissance parce qu’incapable, au seuil de l’écran mais presque happé par lui et la tornade qui s’y prépare, d’éradiquer le doute installé depuis que Curtis a (vraiment) enfermé son chien dans son jardin suite à son premier cauchemar. C’est là la grande force de ce chef-d’oeuvre: s’en remettre au fil ténu qui sépare la réalité de la folie, le laisser se tendre et se distendre au gré d’une narration d’une rare fluidité et d’une photographie époustouflante, qui vaut à elle-seule le détour (les nombreux plans panoramiques, par exemple, trois-quart cieux un quart terre, qui semblent signifier la menace de l’enfermement psychique, sont d’une beauté sidérante). Take Shelter, histoire d’une apocalypse intime, est aussi simplement celle d’une famille menacée d’anéantissement, et qui cherche courageusement les moyens de ne pas y céder. Là aussi, le traitement est réussi: sublime dans ce rôle d’épouse qui cherche coûte que coûte à sauver son mari, Samantha (Jessica Chastain) est le dernier pilier d’existence du ménage, parce qu’elle est la seule à vraiment parler, entre Curtis qui vit dans le bruit permanent de sa foreuse, du tonnerre, et le cloisonnement de l’abri qu’il construit et Hannah dans le silence le plus complet de son handicap. Elle représente la possibilité d’une issue, seule à désirer encore s’accrocher aux maigres possibilités sociales qui s’offrent à elle et à sa famille pour demeurer dans une certaine normalité (le minuscule marché du samedi, où elle vend des habits qu’elle confectionne, les minables repas paroissiaux). Take Shelter représente ainsi, sur fond de menace eschatologique, l’orage qui plane sur un individu ayant depuis longtemps troqué sa parole contre une peur incessante, une peur de l’égarement dans un monde trop grand, une peur de la perdition, mais aussi une peur de l’anéantissement familial qui, à force d’essayer de l’éviter silencieusement, a fini par se déclarer sous l’une de ses formes les plus terrifiantes: la perte de la raison.

Take Shelter (2011) : Fiche technique

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Durée : 02:00:00

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4 commentaires

  1. Fulbert dit :

    J’ai regardé le film en trois fois : j’ai déjà du mal à rester éveillé devant un film d’action, mais alors là c’était totalement fatale.

    Bref, je reste perplexe. J’ai pas compris ce qu’on doit comprendre des 30 dernières secondes. Quelqu’un pour m’éclairer ?!

    • olivier olivier dit :

      Je comprends bien cette réaction! Je trouve pas forcément approprié de parler de film d’action, mais je suis bien conscient qu’on peut trouver le film barbant… C’est pas mon cas, je saurais pas trop dire pourquoi! Il m’a littéralement collé à mon siège, avec toute cette tension. Pour les dernières 30 secondes, je suis bien emprunté, et ne voudrais pas donner d’interprétation figée (que je n’ai pas d’ailleurs). J’aurais envie de dire qu’il y a quelque chose de mystique dans ce dénouement, une espèce de communion psychologique entre le père et la fille, qui ont tous deux des problèmes de communication et se retrouvent dans cette vision apocalyptique qu’ils partagent, et qui a quelque chose de libératoire. Mais j’aurais aussi besoin qu’on m’explique, peut-être une fois que le DVD sera sorti, on aura un commentaire de Nichols!

    • victor dit :

      Pas d’accord non plus avec le « film d’action ». Pour moi c’est un drame, à la rigueur un thriller psychologique, mais pas un film d’action, avec ses flingues et ses poursuites en bagnole. ;)

      Et tout comme Olivier, l’immersion était totale. La beauté des paysages et ciels au grand angle, l’inattendu et la violence des « visions » et les excellents effets sonores qui les accompagnent m’ont enfoncé dans mon siège.

      Remarque, c’est bien le genre de film fait pour le grand écran et la puissance sonore d’une salle de cinéma, et je ne serais pas étonné que ce film paraisse beaucoup moins fort et captivant sur petit écran. Comme beaucoup de films lents, d’ailleurs, et particulièrement ceux comme Take Shelter où la nature et le grand angle ont autant d’importance.

      Quant à la fin, quelques intéressantes hypothèses d’internautes ici : http://bit.ly/x0HAdP :)

  2. Fulbert dit :

    Non non, je ne disais pas que c’était un film d’action, mais que j’ai déjà du mal à rester éveiller avec des films d’actions (qui sont plus vivants), alors avec ce film plus lent, c’était impossible.

    Je l’ai regardé sur mon ordi et dans mon lit, c’était d’autant plus difficile.

    Le film est très bien, dans sa forme et dans son histoire, mais terriblement lent (pourquoi pas, c’est pas une critique négative !). Par contre je suis resté perplexe à la fin, mais il faut dire que je n’arrive pas à avoir une analyse aussi fine que vous sur l’ensemble.

    Je vais essayer de décrypter les réponses du lien donné, merci à vous deux ! :)