Critique du film
Visitor Q (2001)

le 22/08/2011 par olivier

De Takashi Miike, avec Kenichi Endo, Kazushi Watanabe, Jun Mutô, etc.

Certains d’entre vous ont peut-être déjà entendu parler de Takashi Miike. Il est responsable, notamment, d’une quantité non négligeable de films de tarés: Audition, Ichi the Killer, Dead or Alive (I-III), Gozu, et j’en passe. Je dis « responsable », parce qu’il y a quelque chose du crime dans le cinéma étrange et provocateur que concocte cet apprenti-malade. Comment rester de marbre en effet devant une jeune et jolie femme qui plante des aiguilles dans les yeux de son nouvel époux, en susurrant d’une voix mignonette « kirikirikiri! » (voir Audition)? comment supporter le déluge de violence d’Itchi the Killer, ou de l’introduction enragée de Dead or Alive I?  Certains crient au scandale (la plupart des films de Miike sont classés « catégorie III »), d’autres à la bêtise, et je les comprends. Pourtant, j’ai décidé de lui pardonner, à cet homme qui a choisi de dépeindre la perversion plutôt que les bons côtés de la nature humaine. Les raisons de cette amnistie? Je ne sais pas trop. Je me planquerai donc derrière l’adage sadien: « Tout est bon quand il est excessif ».

«Avez-vous déjà passé à tabac votre mère?»

Excessif. Voici un épithète bien approprié pour qualifier Visitor Q, dont le scénario tiendrait sur un morceau de papier q, mais alors un qui râpe méchant. C’est l’histoire d’une famille pas comme les autres: un père journaliste qui réalise le jour un documentaire sur son fils, constamment humilié par ses camarades de classe, et fréquente la nuit sa fille prostituée, une mère qui vend son corps pour pouvoir payer son héroïne et qui se fait tabasser par son fils. Voilà, c’est dit. Sauf que c’est pas tout. Parce qu’à cette joyeuse petite famille viendra s’ajouter un étrange personnage amateur de gros cailloux, un visiteur étrange au regard torve et aux chemises bigarrées qui viendra bouleverser tout ce petit monde.

Tourné en cinq jours avec un caméra numérique, le film interpelle immédiatement par son aspect visuelOn a d’abord envie de gueuler comme certains « keskecékcetruk », parce que ça nous paraît laid, mal monté, incohérent, en un mot, du vite fait mal fait. Mais au fur et à mesure que passent les minutes, on s’interroge. Et si Miike avait simplement voulu remettre en question certains codes de l’esthétique cinématographique traditionnelle? Et si ça, cette chose, c’était aussi du cinéma? En tous les cas, on termine le film en n’étant plus sûr de rien, parce chaque plan détériore un peu plus une certaine idée qu’on se fait de la beauté, ce quelque chose d’atavique qui nous dit qu’une orchidée est plus belle qu’un gros tas de merde fumant. Mais plus encore que la technique particulière employée, c’est bien le propos de Visitor Q qui dérange, et le registre dans lequel le film officie. Est-ce un drame? une comédie? une film de moeurs? un film érotique déviant? A nouveau, tout est brouillé. On veut tourner la tête lorsqu’on assiste à une scène d’inceste, on rit parfois, aussi, parce c’est terriblement drôle, on est même touché à certaines occasions, parce que cette folle histoire peut dégager quelque chose de profondément familier. Oui, une histoire de famille justement, noyau commun à toute civilisation, et ici particulièrement mise à mal par une anti-morale terrible, un discours retors, complètement fou, et surtout absolument libre. Miike a décidé de pousser le grotesque à son paroxysme puisqu’il s’est saisi de la famille, valeur japonaise (et pas seulement) par excellence, dont il a complètement renversé le caractère habituellement sublime en y faisant naître des passions délirantes et malsaines, cela tout en interrogeant sporadiquement le spectateur, en demandant par exemple: «Avez-vous déjà couché avec votre père?». Et ces questions, qui nous sont adressées comme si nous étions des enfants, veulent presque nous convoquer à cette absurde tablée.

Le film évoque donc tout ce qu’il peut y avoir de monstrueux et de régressif dans l’esprit humain, certes, mais il le fait en accumulant un double regard, froid, précis et microscopique d’une part, expansif et extravagant d’autre part. Miike a crée avec Visitor Q un monstre hybride, une peinture incompréhensible, mélange d’hyperréalisme et de surabondance qui résulterait de l’accouplement d’un Hopper dégénéré avec un Bosch encore plus fou que nature, quelque chose de hiératique et de renversé en même temps, un truc qu’on ne peut pas saisir, un visiteur incongru dans l’univers cinéma, un gros pavé bien râpeux lancé dans une mare lisse.

Visitor Q (2001) : Fiche technique

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Durée : 01:24:00

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