Critique du livre
- Ballast (2011)

le 06/10/2011 par olivier

« Les voici dans l’Histoire qui ne voit encore d’eux qu’obsolescence fin de siècle et cabotins immatures encontre le réel globalement positif de la pauvreté de tout. Dans l’attente, on reconnaîtra que ces excessifs inconditionnés ont au moins le mérite d’avoir porté leurs corps en avant comme projectiles météo, phénomènes d’un futur non advenu, coupé net, tempête de fleurs contraintes aux alizés. »

~ Jean-Jacques Bonvin, Ballast, p.61

Ainsi se termine le dernier roman de Jean-Jacques Bonvin, publié en 2011 aux éditions Allia. Les « excessifs » projetés, éparpillés dans cette tempête de fleurs, ce sont Allen Ginsberg, Jack Kerouac, William Burroughs, ces représentants de la Beat Generation qui ont tant marqué l’univers littéraire et social américain, mais aussi et surtout Neal Cassady, l’aimant invisible, intenable et oublié, vers qui les trois écrivains ont afflué, prétendants ou amis, durant leur vie intense. Cassady, c’est aussi celui qui n’a rien écrit, l’homme sans voix malgré l’envie de dire, le mécano silencieux dans les grands espaces californiens et qui a, paradoxalement , servi de « pâte à fiction » pour les trois autres. C’est d’ailleurs de lui que s’est inspiré Kerouac pour le personnage principal de Sur la Route.

Neal Cassady et Jack Kerouac

Ballast raconte cette histoire avec violence; le roman débute avec la mort – insalubre – de Kerouac, « outre qui pisse de partout », puis poursuit avec celle de Cassady, étendu raide, bourré de barbituriques sur le ballast d’une ligne de chemin de fer au Mexique. « Il y meurt, il aura quarante-deux ans bientôt, happy birthday, Neal, general congestion in all systems mais happy birthday […] » .

C’est à partir de cette matière délétère, sonnant aussi péremptoirement qu’un ite d’enterrement et suintant de cynisme que Bonvin développe son chant. Je dis chant, car il y a quelque chose de lyrique, dans son écriture d’abord, très rythmée, dans la narration qu’il construit, qui nous apparaît fractionnée, dispersée comme l’esprit de ses occupants, mais surtout dans cette façon de donner corps à Cassady, à sa vie à peine cristallisée dans The First Third (ébauche d’un récit autobiographique de Cassady publié à titre posthume en 1971), de mettre brutalement à jour sa fonction réellement musicale au sein de ce groupe finalement un peu nécessiteux, parfois en mal d’histoire mais toujours tout boursouflé de rêve, et qui a décelé en Neal la présence d’une matière quasi intarissable: ces mots pas dits, ces mots au bord des lèvres, coincés comme lui sur les rails de la Southern Pacific Railroad, ce cri de l’intérieur, pas forcément engagé, ni contestataire, mais essentiellement poétique, dans son sens le plus brut.

Ballast fonctionne donc bien mélodiquement, mélancoliquement aussi, telle une « variation à quatre voix sur le thème du rêve cassé sec, du vol époumoné dans la tempête de fleurs, sur le thème aussi de la joie qui courait en filigrane dans les revendications les plus entêtées alors faites à la vie […] » racontant l’élan et la pétrification soudains de trois hommes en recherche constante d’expériences par le biais d’un quatrième, Neal Cassady, toujours lancé à pleine vitesse, en voiture, en train, en amour, dans sa vie qu’il a rongée par toutes les extrémités, et qui fut pour eux le « sang chaud » toujours bouillonnant d’histoires en devenir.

« Carolyn trie le courrier, il y a deux lettres de Jack, une pour elle, l’autre pour Neal et dans chacune un mot pour l’autre et des passages que l’autre ne doit pas lire. Dans celle adressée à Neal, il a écrit Ecris mais Neal sait que ce que veut Jack, c’est qu’il parcoure deux mille miles en traversant les Rocheuses parce que les Rocheuses sont enneigées et embrumées, froides ce qui veut dire verglas garanti et Neal vivra l’aventure que Jack écrira, alimentant la machine à écrire de Jack depuis sa voiture qui déjà glisse au sommet d’un col, Neal locomotive à benzédrine, qui avale six cent miles par jour à l’aller et au retour, qui freine parfois à coups de volant. »

~ Jean-Jacques Bonvin, Ballast, p.30-31

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3 commentaires

  1. victor dit :

    Lu et approuvé. C’est un peu une barre d’Ovomaltine ce bouquin, un petit truc super énergétique à dévorer.

    J’aime beaucoup la phrase citée en 4e de couverture : « Si c’est une maison, il en manque des parties. »

  2. olivier olivier dit :

    Oui, la phrase de 4e est énorme…

  3. lorrain dit :

    Je veux lire ca!

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