Critique du livre
- Vernon God Little (2003)

le 19/11/2011 par lorrain

It’s hot as hell in Martitio, but the papers on the porch are icy with the news. Don’t even try to guess who stood all Tuesday night in the road. Clue : snotty ole Mrs Lechuga. Hard to tell if she quivered, or if moths and porchlight through the willows ruffled her skin like a funeral satin in a gale. Either way, dawn showed a puddle between her feet. It tells you normal times just ran howling from town. Probably forever. God knows I tried my best to learn the ways of this world, even had inklings we could be glorious ; but after all that’s happened, the inkles ain’t easy anymore. I mean – what kind of fucken life is this?

Now it’s Friday at the sheriff’s office. Feels like a Friday at school or something. School – don’t even fucken mention it.

I sit between shafts of light from a row of doorways, naked except from my shoes and Thursday’s underwear. Looks like I’m the first one they rounded up so far. I ain’t in trouble, don’t get me wrong. I didn’t have anything to do with Tuesday. Still, you wouldn’t want to be here today.

 

C’est comme ça que commence le livre. Vernon G. Little, 15 ans, est au commissariat, prêt à subir un interrogatoire parce qu’on le suspecte d’avoir participé à une fusillade dans une école. « G » veut dire Gregory, mais il déclinera cette initiale tout au long du livre ; selon la situation, il se surnommera lui-même Genius, Gonzales ou autre. Il a quinze ans, il est innocent et persuadé que la vérité triomphe toujours, mais il est néanmoins nu. La commissaire arrive dans la cellule, précédée d’une boîte de ribs qu’elle tient entre ses mains boudinées :

 

‘Before we start I want you to name the two categories of people that inhabit our world […] No. Citizens – and liars. Are you with me, Mister Little ? Are you here ?

Like, duh. I want to say, ‘No, I’m at the lake with your fucken daughters,’ but I don’t. […]

Deputy Gurie tears a strip of meat from a bone ; it flips through her lips like a shit taken backwards. ‘I take it you know what a liar is ? A liar is a psychopath – someone who paints gray areas between black and white. It’s my duty to advise you there are no gray areas. Facts are facts. Or they are lies. Are you here?’

 

Le bouquin enchaîne les caricatures; tout est type. La grosse commissaire gourmande qui prétend suivre un régime et s’enfile des travers de porc qui viennent de la seule entreprise viable de cette ville pourrie du Texas, à savoir Bar-B-Chew Barn, une usine à viande et à sauce BBQ; typique aussi, le journaliste opportuniste qui montera une histoire bien vendeuse pour se faire une place au soleil; l’avocat commis d’office qui ne comprend rien à rien, Abdini, dont le nom même est une minable abdication; le pédopsychiatre, plus pédo que psychiatre; et aussi le narrateur, jeune innocent si proche de la culpabilité, qui n’a aucune idée de comment se défendre (il a quinze ans), qui croit que la vérité parlera d’elle-même:

 

I mean, the whole world knows Jesus [Vernon’s friend] caused the fucken tragedy. But because he’s dead, and they can’t fucken kill him for it, they have to find a skate-goat. That’s people for you. Me, I’d love to explain the sequence of events last Tuesday. But I’m in a bind, see. I have family honor to think of. And I have my ma to protect, now that I’m Man of the House and all. Anyway, whoever points a finger at me, just for being a guy’s friend, has some deep remorse coming. Tears of fucken regret, when the truth comes marching in. And it always comes, you know it. Watch a fucken movie.

 

Vernon imagine qu’on lui laissera la parole pour qu’il s’explique, tôt ou tard, mais il passe pour coupable dans toutes les situations, surtout quand une société ubuesque recherche désespérément un bouc-émissaire. Il se laisse ainsi entraîner de plus en plus loin dans la procédure pénale, sans que jamais personne ne remette en question sa culpabilité. Vernon est un personnage complexe. Il est drôle, mais il attire la compassion du lecteur révolté par cette société bouffonne qui est en train de ruiner la vie d’un innocent. A bien des égards il se comporte comme un adulte un peu limité à ses principes, genre mafieux, mais à d’autres moments c’est le jeune ado qui parle. Vernon constitue aussi le lien entre un monde ridicule et les tragédies qu’y s’y déroulent: il est le seul ami du futur auteur de la fusillade. On obtient une idée (encore une fois à la limite du sérieux et de l’hilarité) de ce qui trotte dans la tête du tueur dans un dialogue entre Vern et Jesus alors qu’ils parlent d’un philosophe qu’ils ont évoqué en classe :

‘The one that sounded like « Manual Cunt » ?’

[…]

‘Fuck, Vern, I’m serious. This is a real-time philosophy question. The kitten’s in this box, definitely gonna die at some moment, and Manual Cunt asks if it may be called dead already, technically, unless somebody’s there to see it still alive, to know it exists.’

‘Wouldn’t it be easier just to stomp on the fucken kitten?’

‘It’s not about wasting the kitten, asshole.’ You can tick Jesus off real easy these days. His logic got all serious.

‘What’s the fucken point, Jeez?’

He frowns and answers slowly, digging each word out with a shovel. ‘That if things don’t happen unless you see them happening – do they still happen if you know they’re gonna – but don’t tell nobody…?’

As the words reach my ears, the mausoleum shapes of Martitio High School slam into view through the trees. A bitty chill like a worm burrows through me.

Bien au-delà d’un jeu de mots de temps en temps, Vernon God Little est un bijou d’humour noir qui mélange habilement vulgarité et poésie, satire et tragédie dans un langage propre au narrateur, une prose cinématographique, pleine d’images verbales, de comparaisons violentes, souvent drôles et affreusement justes. Le style assassin ne connaît pas de trêve. C’est un concentré de révolte, de cynisme et d’une étrange forme d’innocence (peut-être justement celle d’un jeune un peu caïd, un peu marginal, un peu démerde, mais encore enfant). C’est sale, c’est drôle et c’est beau, quelque chose entre Rabelais et Swift écrit par un gosse aussi usé que Bukowski. Il a raflé un certain nombre de prix, dont le Booker Prize, et à mon avis, il les mérite amplement.

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Un commentaire

  1. olivier olivier dit :

    T’es tombé dessus par hasard?
    C’est hyper tentant en tous cas.