Critique du livre
- La Voie Royale (1930)

le 22/09/2011 par sylvain

– La vraie mort, c’est la déchéance.

La Voie Royale pourrait être groupé avec Les Conquérants (1928) et La Condition humaine (1933) dans une sorte de série asiatique inspirée des voyages d’André Malraux en Extrême-Orient – enfin voyages, ça veut pas dire grand chose à côté de ce qu’il s’est amusé à faire là-bas. Ce dernier est sans doute le plus connu de la série, ayant tout de même gagné le prix Goncourt cette année-là. Pourquoi ne pas parler de La Condition humaine alors, me demanderez vous. D’abord j’en parlerai peut-être dans un autre poste, ainsi que des Conquérants, ensuite parce que je viens de relire la Voie Royale récemment et sa blessure est donc beaucoup plus fraîche dans mon esprit. Et puis surtout parce qu’il en vaut la peine.

La Voie Royale, une sente à peine visible à travers la jungle du Cambodge, du Siam et du Laos qu’on suit à la boussole et à l’instinct, traversant tout un boulier d’anciens temples khmers en ruines, enfin ce qu’il en reste après tous les pillages et l’impitoyable action de la végétation et des insectes grouillants, explorée partiellement par les missions archéologiques françaises officielles mais dont la majorité est en territoire vierge, ou plutôt faudrait-il dire hostile, peuplé de tribus d’indigènes ruinées par le paludisme et leur sauvagerie, Voie Royale que Claude Vannec compte bien arpenter pour découvrir quelques bas-reliefs préservés ou qui sait des statues, un peu par ambition archéologique, un peu pour gagner de l’argent, surtout pour d’autres raisons. Il trouve sur son chemin – enfin dans un bordel ethiopien aux mystérieuses négresses – un vieil aventurier, Perken, avec qui ils se trouvent une sorte de point commun, peu clair, une même façon de voir la vie, qu’il convainc de partir avec lui en expédition, parce que ce dernier a besoin d’argent et qu’il veut retrouver un certain Grabot, disparu dans la brousse, et qu’il doit acheter des mitraillettes pour des raisons obscures, à moitié militaires, à moitié existentielles.

Voilà pour la trame principale de ce roman qui reste avant tout un roman d’aventures, d’expédition dans la jungle, de combats, de luttes. Disons que c’est la partie émergée de l’iceberg, avec son intérêt en soi je dois dire, ses pistolets dans la poche du pantalon et ses rebondissements. La partie sous-marine, bien qu’assez explicite, est plus difficile à décrire et je ne m’y aventurerai qu’à moitié, un peu par aveux de faiblesse et un peu pour laisser une aura de mystère au livre. La Voie Royale c’est cette sente infectée à travers la jungle mais c’est aussi une sorte de parcours initiatique, de tentative pour lutter contre l’absurdité de la vie, pour transformer la mort, pour fabriquer du sens. Il y a un mélange de désirs sexuels, de volonté de puissance, de goût pour l’aventure et d’autodestruction. Les hommes sont mis à nus, dépouillés, ils doivent agir et c’est par l’action qu’ils peuvent exister, se libérer de leur condition. Cette thématique se retrouve d’ailleurs dans les deux autres livres de la série dont je parlais au début, cette fois à travers la lutte révolutionnaire, pas par idéologie, mais par goût de l’action.

Et puis l’écriture est très belle, on sent suinter les venins sous l’humidité lancinante de la forêt vierge, les moustiques et les fourmis géantes, le sang perler, l’humanité s’écrouler, avec l’espoir, avec les ruines khmers. Je ne peux que vous conseiller de le lire, et les deux autres également!

Pour finir un petit extrait :

A d’autres de confondre l’abandon au hasard et cette harcelante préméditation de l’inconnu. Arracher ses propres images au monde stagnant qui les possède…
« Ce qu’ils appellent l’aventure, pensait-il, n’est pas une fuite, c’est une chasse : l’ordre du monde ne se détruit pas au bénéfice du hasard, mais de la volonté d’en profiter. » Ceux pour qui l’aventure n’est que la nourriture des rêves, il les connaissait; (joue: tu pourras rêver); l’élément suscitateur de tous les moyens de posséder l’espoir, il le connaissait aussi. Pauvretés. L’austère domination dont il venait de parler à Perken, celle de la mort, se répercutait en lui avec le battement du sang à ses tempes, aussi impérieuse que le besoin sexuel. Etre tué, disparaître, peu lui importait: il ne tenait guère à lui-même, et il aurait ainsi trouvé son combat, à défaut de victoire. Mais accepter vivant la vanité de son existence, comme un cancer, vivre avec cette tiédeur de mort dans la main… (D’où montait, sinon d’elle, cette exigence de choses éternelles, si lourdement imprégnée de son odeur de chair?)

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2 commentaires

  1. ivan dit :

    J’ai lu il y a quelques années la condition humaine, et j’en garde un bon souvenir. J’ignorais l’existence de ces deux autres livres. Encore quelque chose à mettre sur la -longue- liste « à lire ».

  2. Françoise V. dit :

    Dites donc les amis, vous êtes classiques dans vos goûts littéraires! Le bon vieux Malraux encore à la page, c’est fantastique!
    Avez-vous envie de vous faire connaitre sur la page de la liberté(le journal!) qui demande qu’on propose des critiques sur les livres qui éclairent nos vies.
    Jean-Michel a écrit un coup de coeur…
    C’est un plaisir de vous lire et je me réjouis de vous lire bientôt. N’oubliez pas que dans la littérature il y a des FEMMES!