le 23/08/2011 par lorrain
Malevil est un lieu imaginé par Robert Merle, mais il n’en est pas moins un de ces véritables châteaux forts du Périgord bâti à flanc de falaise, une place forte qu’on imagine un peu comme un croisement de Beynac et de Reignac. Dans une première enceinte du XIIIe siècle se trouvent un donjon, quelques boxes à chevaux et l’accès à des grottes aménagées en caves. Emmanuel Comte a repris l’élevage de chevaux de son oncle et a racheté la petite forteresse abandonnée pour profiter des terres de la châtellenie et étendre l’exploitation; au passage, il trouve aussi que de posséder un château, ça en jette. Dans cette France rurale, on vit d’agriculture, d’élevage et d’artisanat; tout le monde se connaît et les ragots vont bon train; on parle la moitié du temps en français, sinon en patois. Voilà en gros le décor de Malevil : la vie campagnarde du sud ouest de la France dans les années ’70 , un lieu et un temps imaginés mais si parsemés d’anecdotes, si proches de cette réalité périgourdine que la magie opère, et on y est.
Une centaine de pages plus loin — le narrateur prend son temps, eh quoi ! pas d’empressement, à Malejac et alentour, ça ne se fait pas d’entrer trop vite dans le vif du sujet — Emmanuel est réuni avec ses amis d’enfance dans le château qui leur servait de terrain de jeux; ils sont en train de mettre du vin en bouteille dans la vieille cave du château, au sein même de la falaise. L’endroit est habituellement frais, mais ils commencent à transpirer… La radio a cessé de fonctionner. Ils ne s’en doutent pas encore, et il leur faudra encore un effort supplémentaire pour l’admettre, mais le monde a pris fin. L’apocalypse leur a arraché tout ce qu’ils avaient connu, leur famille, leurs terres, leur maison, leur bétail. Tout, ou presque.
Dans le monde d’après la fin du monde, il faut réapprendre à vivre avec le peu qu’il reste. En l’espace d’un instant, notre civilisation a été balayée. Toute la question de Malevil, au-delà de quelle force l’être humain dispense à se détruire, c’est comment on peut redonner forme aux décombres; comment on reconstruit une société depuis la base; qu’est-ce qu’on garde de ce qu’on avait mis des milliers d’années à acquérir; mais aussi qu’est-ce qu’on gagne à devoir vivre à nouveau de façon archaïque (dans un décor délicieusement médiéval) quand on porte en soi la civilisation du XXe siècle, l’éducation et l’expérience de notre société qui n’a finalement pas que des défauts quand on la regarde dans le miroir de la dévastation. Le narrateur, Emmanuel Comte, dont Malevil est le journal, nous raconte d’abord le traumatisme de la perte, puis les moyens mis en œuvre pour que la vie continue, et qu’elle continue au mieux.
Malevil, c’est certes un roman d’anticipation, mais c’est en même temps un roman historique, c’est à la fois une dystopie et une utopie: il n’est pas inclassable, mais il fait réfléchir sur les critères du sous-genre post-apocalyptique. Il y apporte étonnamment beaucoup de fraîcheur, une dose d’espoir qui n’est pas de l’optimisme facile. On peut voir en Malevil une sorte d’expérience scientifique dirigée par l’auteur comme dans une boîte de Petri : mettez sept personnes dans une grotte, faites tout péter, qu’est-ce qui se passe ? L’expérience est lancée… On se retrouve dans un monde où les règles ont complètement changé. Observez, notez, comparez, sous l’angle sociologique ou anthropologique, avec une loupe psychologique… Robert Merle a poussé loin l’observation; ce qui marque, c’est la profondeur qu’il a donnée à ses personnages et le poignant de leurs rapports, dont un duel politico-psychologique en particulier qui atteint des dimensions mythologiques. Un bouquin que j’ai pas pu lâcher, cinq cents pages de pur plaisir !
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Tu me le prêtes? ça me botte à coin!
Malevil, mal et vil, mal evil, le titre veut tout dire ?
Je n’ai pas d’interprétation univoque pour le nom Malevil. C’est vrai que le nom parle… D’ailleurs ça pourrait aussi être la male-ville, avec un « mal » adjectival: la mauvaise ville (« male » est vieilli mais s’utilise dans la locution « male heure », l’heure de la mort).
Pour tout te dire, j’avais d’abord favorisé l’interprétation de Malevil comme étant Malville de Creys-Malville, la centrale qui abrite le surgénérateur super-puissant de Superphénix qui renaît de ses super-cendres quand il a super-explosé (et qu’on n’a toujours pas fini de démanteler). Le plus d’informations que j’aie pu trouver se trouve dans le mémoire de Caroline Revol (qui a fait sciences po) sur « Superphénix dans la presse quotidienne régionale ». Elle y mentionne (p.14), que « En 1971, il est décidé que le réacteur Superphénix sera installé sur la rive gauche du Rhône, à Creys-Malville ». Il est donc possible que Robert Merle ait eu connaissance de Creys-Malville avant 1972, année de parution de « Malevil ».
Superintéressant cette histoire de Creys-Malville, ça semble effectivement une bonne piste vu ton superrecoupement de dates !
Bien la critique. Je me demandais si le chateau existait vraiment, celui de Reynac ba c’est exactement comme ça que le voyais !
Le château de Malevil n’existe pas, mais Merle s’est inspiré de bâtiments réels pour l’imaginer, tels la place forte de Reignac et quelque château fort.
[…] Malevil, de Robert Merle, la révélation du post-apocalyptique rural. […]