Critique de l'album
- The Money Store (2012)

le 24/04/2012 par olivier

Death Grips, groupe né de la collaboration entre le batteur Zach Hill, le rappeur Mc Ride et le producteur Andy Morin, résulte probablement de l’accouplement d’une chèvre et d’un pasteur du dix-neuvième qui aurait eu lieu dans une église désaffectée, au beau milieu de pentagrammes sanglants et devant une foule extatique qui parlerait à l’envers. Pour les plus bénitières des grenouilles qui me liraient, je m’excuse de cette comparaison un tant soit peu blasphématoire, mais j’ai beau essayer, vraiment, je ne vois pas comment décrire mon sentiment de façon plus…chrétiennement appropriée.

Le dit Mc Ride.

Qu’importe, Death Grips fait assurément partie de ces rares météorites musicales qui ont le pouvoir de venir salement cramer la croûte de notre chère planète et d’y creuser une bonne vieille cautère, selon moi tout à fait proche de l’indélébilité. En 2011 en effet, le groupe produit une mixtape géniale (vous la trouverez en téléchargement gratuit ici) qui a un certain retentissement sur le net: Exmilitary s’illustre avec « Guillotine », morceau indus, minimal, plus agressif que jamais, au travers d’une vidéo style VHS en sale état qui en dit assez long sur le caractère expérimental du groupe. La voix habitée de Mc Ride, qui hurle et scande des versets étranges sur une instru saturée, y est inoubliable, tout autant que ses hochements de tête litaniques et son regard exalté.

« Hidden art, between and beneath, every fragmented, figure of speech

Tongue in reverse, whenever the beat, causes my jaws to call out, yah »

En avril 2012, Death Grips sort The Money Store sur le label Epic (légèrement en marge d’autres « artistes » du label, comme Shakira et J-Lo), et confirme avec ce premier album ce qu’on pouvait espérer à l’époque d’Exmilitary: les gaillards ont un talent immense et n’ont rien perdu de leur férocité. Entre The Money Store et l’auditeur, c’est même une sorte de pacte faustien qui paraît paraphé: immédiatement, on vend notre âme à cette équipe de Méphistophélès, on dit « oui oui » aux sections rythmiques de Zach Hill, parce qu’il nous les assène littéralement dans la gueule, avec violence, et parce qu’elles en imposent, double pédalier et syncopes à l’appui, on se ratatine à l’écoute des mélopées de synthé indus du Révérend Morin, qui n’hésite pas à produire des boucles tétanisantes, tout à fait englobantes¹, tandis que Mc Ride est un peu le prêtre qui célèbre cette messe sombre, scandée en fuck you majeur pour nos esgourdes ébahies. On pourrait croire que le machin commence tranquillement, si l’on en croit « Get Got », mais c’est une feinte apache de démon vicelard, puisque « The Fever (Aye Aye) » rattrape le plus guilleret d’entre nous qui aurait cru à la ballade hip hop, et le plonge alors qu’il ne s’y attend pas dans un enfer de rouages et de magma; dans cette seconde track, il y a d’ailleurs un peu de Dälek et du délire d’Absence.

En guise de pause, « Lost Boys » joue à faire de la dub, sauf que tout y est sale, hurlant, crissant, comme venu tout droit d’un garage hanté où des bagnoles s’adonneraient à un rite païen au milieu des écrous. « Black Jack », qui bat comme un marteau-piqueur au ralenti, accueille un Mc Ride largement trituré au reverb, et qui fout sérieusement les miquettes avec ses aboiements alanguis comme résonnant au milieu d’une forêt de pylônes. Je passe les trois morceaux suivants pour parler du bien nommé « System Blower »: condensé hip hop indus, cette track est un sommet d’agressivité, aussi lente rythmiquement qu’elle est globalement percutante, et à ce titre tout à fait déchausseuse de molaires. A écouter de préférence à coin, à éviter dans les couloirs d’un EMS.

Beaucoup d’influences musicales, dans cet OVNI hip hop, mais une homogénéité fabuleuse. L’album s’écoute d’une traite, se réécoute car comme le vin, meilleur encore quand un peu aéré, et se digère lentement, si on en sort indemne, et pas soi-même digéré dans ce condensé d’énergie brute, mélange d’acide gastro-industrielle et d’huile de moteur suintant. Défi pour le corps et ses sens, défi à la musique aussi, The Money Store a de quoi plaire à tout amateur d’expériences des limites, du bizarre et de l’extrême, mais aussi à quiconque désire simplement se payer un bon morceau de son brut, truand ou pas.

 


¹Terme emprunté à un autre membre du peupl qui se reconnaîtra, et qui exprime avec pertinence ce que je veux dire ici, avec l’extension odorifère qui lui est propre.

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Un commentaire

  1. lorrain dit :

    Ah, ça c’est du lourd! En parlé Svink, c’est des sons qui font mal au front…

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