le 26/12/2011 par olivier
Steve McQueen n’a rien à voir avec le Steve McQueen de Bullit ou de Papillon, vous savez, cette gueule devenue classique qu’on connaît tous sans avoir vu le film, ce regard fait d’yeux qu’on devine à peine sous une tonne de sourcils plissés à l’excès, et que chacun a peut-être une fois rêvé d’avoir pour son pouvoir quasi tauromachique. Enfin bref, le Steve McQueen dont je vous parle n’a rien de l’adonis ultra-photogénique de 68, puisque lui, mon Steve McQueen, eh bien il n’était pas né au temps de Bullit, est un londonien tout droit sorti du milieu branchouille de l’art contemporain, et surtout ne se positionne pas devant, mais derrière la caméra.
Hunger, sorti en 2008 et lauréat de la Caméra d’Or à Cannes, raconte une histoire simple, puissante, politique. A la prison de Maze en Irlande du Nord, en 1981, des membres de l’IRA incarcérés sont en grève de l’hygiène pour protester contre le refus de Margaret Thatcher, et du coup des trois-quarts du Royaume-Uni, de les considérer comme des prisonniers politiques. L’une des premières scènes du film présente le dernier arrivé dans l’enfer carcéral, un sans-nom parmi d’autres, jeune sûrement, un peu amaigri déjà, qui refuse de porter les vêtements qu’impose le protocole. Il est envoyé nu dans une cellule sombre occupée par un autre détenu, entrain d’appliquer contre le mur, dans ce qui pourrait presque apparaître comme un geste empreint de poésie, ses propres déjections en cercles concentriques. Il rencontrera plus tard Bobby Sands (Michael Fassbender), leader irlandais fumant sa bible (seulement les Lamentations, dixit) et à la base de ce mouvement de protestation scatologique.
Une entrée en matière brutale, fécale, violente dans son dépouillement et dans sa nudité (au sens propre et au figuré), déchargée de matière dialogale signifiante, qui fait que l’on essaie de comprendre par ce qu’il reste, c’est-à-dire l’image, somptueuse. Mais qu’est-ce qui peut pousser l’être humain à pareille ignominie, à pareille dégradation? Alors même qu’on se questionne, qu’on tente de revisiter un peu nos a priori moraux, une réponse tombe, à peine encore vraiment proférés nos « pouquoi ». Bobby Sands reçoit la visite du père Dominic Moran, auquel il explique au cours d’un plan-séquence magistral de 17 minutes les raisons qui le poussent à franchir un cap supplémentaire dans son activisme: passer à une grève de la faim qui serait suivie ensuite par d’autres prisonniers. Malgré les mises en garde du père Moran, Sands est décidé à aller jusqu’au bout, c’est-à-dire faire valoir de façon extrême ses convictions en attentant à sa propre vie, et atteindre ainsi enfin la vraie liberté. Le film retombe alors dans un mutisme effarant; la parole cède sa place à la chair contusionnée, à la douleur du corps sur le point de céder, aux hallucinations de l’affamé dans son infirmerie silencieuse, à l’existence d’un homme même plus face à lui-même, mais toujours certain de la justesse de ce qu’il fait. C’est là à mon avis le grand mérite de Hunger: plus qu’interroger les fondements d’une conviction, le film montre la conviction déjà un cran plus loin, en acte, celle au nom de quoi on décide non pas de parler, parce que les mots n’ont plus d’effet, mais de sacrifier son corps et de le lancer en projectile piégé à la gueule d’oppresseurs aux yeux fichés d’oeillères, campés sur des positions à tout le moins discutables, et qui ne céderont jamais. Bobby Sands, lui, ne cédera pas non plus.
Hunger est, je crois, un film dont l’ancrage politique spécifique n’est pas à considérer comme une fin en soi; bien sûr McQueen a choisi volontairement le conflit nord-irlandais comme toile de fond à son scénario, mais cela probablement pour qu’il lui serve d’espace dédié à l’expression non pas seulement d’une conviction particulière, mais plus essentiellement de la conviction dans son acception la plus dépouillée. Cela expliquerait bien l’absence de détails donnés au spectateur, et le peu de dialogues tout au long du film, qui sont autant de choix destinés à faire se focaliser le regard sur le corps, dernière possession effective de Bobby Sands, et dégradé volontairement par lui-même pour substituer à la parole et aux diplomaties inefficaces un dernier discours, silencieux et résolu, auto-destructeur, mais un dernier discours d’autant plus percutant qu’il est indéfectible et libre.
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Durée : 01:36:00
Étiquettes : 2000-2009, premier film, Steve McQueen
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