le 13/09/2011 par benoît
Ce film a une curieuse histoire qui mérite un préambule avant d’en faire commencer les premières minutes. Il est commandé à l’époque par Anatole Dauman, producteur au centre de la nouvelle vague (Resnais, Bresson, Godard, Marker, plus tard Wenders) qui demande à Oshima un film pornographique. Développé entièrement en France afin d’éviter la censure, Oshima travaillant dans le noir complet, sans accès à ses propres images, il portera ce titre sensuel de « L’Empire des Sens », obscure référence à un livre de Roland Barthes (ça ne s’invente pas). Un choix qui remplace par la confusion toute l’ambiguité du titre japonais choisi par Oshima, littéralement « la corrida de l’amour », qui faisait référence à l’amour et à la violence, pas à la sensualité, ce qui est significatif quand on sait combien graphiquement ce film représente le sexe.
Au coeur, In the Realm of the Senses est une histoire d’amour. C’est la seule perspective qui explique l’échappée d’Abe Sada et de Kichizo Ishida dans leur brûlante passion amoureuse qui va si naturellement les consumer. Peut-être est-ce aussi pour cela, en raison de cet amour intense, que leurs jeux sont perçus avec autant d’indolence dans les yeux de Kichizo. Dans ce contexte, choquer devient un but lointain, instrumental au tableau que Oshima veut dépeindre, un tableau dans lequel la nature artistique de l’érotisme est bien davantage celle de l’envoûtement. Ensemble, ces deux points me mènent à penser que 愛のコリーダ ne se réduit pas au sujet banal et insipide de la force destructice de la sexualité mais qu’il représente plutôt, avec poésie, la folie des liens de l’amour. Le ton qui émane des impressions des personnages qui vivent leur propre passion, notamment Kichizo puisque Sada incarne la dynamique de la folie, est ce qui procure ultimement toute la beauté poignante de ce film.
Avant que la relation entre Sada et Kichizo ne soit fondée, le film débute dans une maison de plaisirs de Tokyo par une exposition assez brutale, en estampes, des différentes sexualités qui y ont cours, comme pour les séparer de ce qui va suivre. Le reste du film est une succession d’images d’intérieur, minutieusement travaillées et arrangées où le détail des tissus, des miroirs et bien sûr des corps et des visages donne le sens du film tout en formant une symphonie visuelle. Les corps et les visages sont mon idée du cinéma primal. Et les deux acteurs sont parfaits. Il y a les sourires tranquilles et amusés de Kichizo, les regards dépravés et dangereux de Sada. S’il est visuellement subjuguant, dans le rythme de chacune de ses scènes, que dire de la musique et par exemple de ce thème de shamisen qui ne cessera jamais de me hanter?
Le ton est vraiment le plus important dans L’Empire des Sens. Le film a quelque chose de rêveur, comme dans un conte, et de fataliste, sachant le drame à venir et combien fragile est cette relation. Kichizo semble en tout temps conscient de la spirale qui les emporte, sans vouloir faire quoi que ce soit pour changer les émotions qui l’y emmènent. Derrière la passion, il y a cette absence voulue de résistance, quoiqu’il arrive et sans rien d’autre. Les scènes non-sexuelles sont rares, et c’est une excellente chose puisqu’elles disent tout et sont brillantes, donnant là aussi du rythme à la succession de sentiments des deux amants. Le film progresse ainsi vers la chute, toujours avec les sourires de Kichizo et la décadence de Sada, laissant l’esprit du spectateur méditer pendant quelques jours sur ce qui appartient à cet empire de l’amour passionnel. Tout comme la légende dit que Sada, personnage du folklore japonais, a erré pendant des jours dans les rues de Tokyo avec aux lèvres un sourire heureux. C’est ainsi que je m’explique la fascination que ce film exerce sur moi.
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Durée : 01:49:00
Étiquettes : 1970-1979, Benoit favorite, Erotisme, Nagisa Ōshima, romance
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