Critique du film
Halloween (1978)

le 03/11/2012 par thibaud

Alors que les vivants célèbraient leurs morts jeudi dernier, fête de la Toussaint oblige, le peupl profite de l’occasion pour jeter un coup d’oeil dans le rétroviseur, de revenir en 1978, année qui allait voir la réalisation d’un petit bijoux de l’horreur moderne : John Carpenter’s Halloween. Le film qui marquerait à jamais l’imagination collective liée à l’All Hallows Eve, imprégnant de son sceau visuel et sonore la fête du 31 octobre, et la mémoire cinéphile des amateurs du genre. Traduit en français Halloween: la nuit des masques, le long-métrage de John Carpenter (Big John pour les intimes) originairement conçu comme un petit film indépendant sans grande ambition, va rapidement devenir un succès planétaire. Mais qu’en est-il du film 34 ans plus tard?

Force est de constater qu’il n’a pas pris une ride (ou presque!) La simple vision du générique rappelle avec mélancolie les « frissons de l’angoisse » procurés par le film, lorsqu’étant gosse, on visionnait l’oeuvre pour la première fois. Un  Jack-o’-lantern y apparaît vous épiant de son regard de braise alors que la musique composée par Big John, obsédante ritournelle qui sera ressassée en boucle durant 1h30, donne au spectateur l’impression immédiate d’une inquiétante étrangeté. La première séquence du film rappelle le voyeurisme de Norman Bates (observant en secret sa victime), la menace invisible, prête à frapper des protagonistes dans l’ignorance du danger. Filmée en caméra subjective (à la manière du Maniac 2012 de Khalfoun), elle met en scène un inconnu (le spectateur) en train d’espionner une jeune adolescente et son copain. Le spectateur pénètre alors dans la maison, met un masque ramassé par terre, sort un couteau de boucher d’un tiroir de la cuisine, assassine la jeune femme nue dans sa chambre. Le cheminement à la première personne  se termine lorsque la caméra sort de la maison. La police arrive sur le lieu du crime, le masque est enlevé en même temps que l’image change de perspective, nous dévoilant du même coup l’identité du tueur: un petit garçon déguisé en clown, aux yeux noirs inexpressifs, hypnotisé.

 

 

15 années après avoir assassiné sa soeur, Michael revient à Haddonfied le soir d’Halloween, pour répéter cette scène primitive, ce meurtre initial, sur les adolescents du coin, dont la jeune babysitter Laurie (Jamie Lee Curtis, qui est d’ailleurs la fille de Janet Leigh, l’actrice de Psychose) qui lui donnera du fil à retordre. Le génie de Carpenter a été de placer son horreur sous le signe de l’ineffable, de l’inconnu. La première séquence ne nous informe en rien de la psychologie du jeune tueur, et la conscience de Michael Myers restera hermétique à toute interprétation. Le docteur Sam Loomis (Donald Pleasance), psychiatre chargé du cas Myers durant les 15 ans de son internement en hôpital psychiatrique, n’arrivera par ailleurs jamais à pénétrer sa pensée. Le tueur au masque blanc est l’incarnation du mal à l’état pur. Il n’est pas analysable sous l’angle de la déraison, de la folie, mais doit être interprété comme une incarnation vivante du cauchemar. Si Eric Dufour dans Le Cinéma d’horreur et ses figures (2006) définit précisément le film d’horreur comme la répétition sans fin du cauchemar, l’éternel retour non du même, mais du semblable, Halloween est en cela le modèle idéal du cinéma horrifique, Michael Myers, sa plus fidèle représentation. La chute du film est constituée de plusieurs plans fixes redéfinissant le décor de l’histoire (les façades des différentes maisons où ont eu lieu les meurtres) alors que se fait entendre la respiration haletante de Michael, renonçant définitivement à la mort, le cauchemar peut continuer.

Le mystère règne autour de la psychologie du tueur. Une inaccessibilité qui se manifeste dans de nombreux plans larges où Michael apparaît comme un mirage confondu dans le décor, se révélant petit à petit au regard de Laurie (lors de plans subjectifs). Ces plans larges font le bonheur du spectateur qui n’arrive pas à appréhender l’objet de la menace. Myers est toujours à distance, et lorsqu’il fait irruption et frappe (la scène où Laurie découvre les nombreux cadavres de ses amis), il est toujours déjà trop tard. Big John choisit l’option du suspens plutôt que celle de la démonstration spectaculaire. Ridley Scott réalisera une année plus tard son chef-d’oeuvre de la science-fiction horrifique, Alien (1979), grâce à une utilisation similaire de la terreur. L’alien, par définition, est ce qui reste incompris, indécelable, c’est la part d’inconscient, la peur enfouie des navigateurs du Nostromo. Scott ne nous montre jamais le monstre en entier, il souligne les virtualités cauchemardesques de ses contours. La bête ne nous est jamais véritablement donnée, et ainsi l’inquiétante étrangeté glace le sang du spectateur (c’est pourquoi Alien la résurrection (1997) et Prometheus (2012) font outrage au génie de l’oeuvre initiale en démystifiant complètement ce qui faisait la richesse horrifique du monstre perçu comme Autre dans le premier opus). Ainsi fait Carpenter : son Michael Myers est l’incarnation vivante d’un mal obsédant, tapi au fond de nous, que le protagoniste doit affronter comme le public sa catharsis.

 

 

Si Halloween est un film culte, c’est aussi parce qu’il est à l’origine d’un sous-genre du cinéma horrifique : le slasher. Il est à mettre au côté de Black Christmas (1974) et de Vendredi 13 (1980), des films mettant en scène un meurtier qui utilise un objet contendant pour « couper », « taillader » ses victimes. Genre rapprochable du giallo à l’italienne naissant dans les années 60 (Argento, Bava, Lenzy, Fulci, …), le slasher connaîtra un essor considérable dans les années 80 pour le meilleur et pour le pire. La plupart des productions opèrent dans la surrenchère d’effets gores et sensationnels, des purs produits du cinéma d’exploitation (un phénomène sans doute proche de celui auquel nous assistons aujourd’hui avec le torture porn). Le travers du sensationnel sera d’ailleurs celui de toutes les suites de la série Halloween. Lorsqu’est réalisé Halloween 2 (1981), le film doit se positionner sur un marché de rude concurrence (ironie du sort, un marché généré partiellement par Halloween premier du nom). C’est pourquoi le script de Big John fait cette fois-ci la part belle aux effets sanglants et complètement gratos, ce qui explique également le refus exprimé par Tommy Lee Wallace de réaliser le film : celui-ci envisageant la séquelle d’Halloween comme un thriller et non comme un grand spectacle sanguinolent (ce qui ne l’a pas empêché de réaliser par la suite Halloween 3: le sang des sorciers (1982), un ratage complet où apparait une ou deux scènes gores complètement gratuites!) Les nombreuses suites du premier Halloween (8 films au total, sans compter les 2 remakes) ne relèveront d’ailleurs pas non plus le niveau. C’est logiquement que la série s’épuisera dans les années 90 (tout comme le genre du slasher de manière générale, Il faudra attendre Scream (1996) de Wes Craven pour qu’il reçoive un nouveau souffle, dans la mise-en-scène de sa propre parodie). Nous retrouvons Michael Myers dans les années 2000 avec deux remakes de Rob Zombie, sortis respectivement en 2007 et 2009. Il est malheureux de constater que les films de Zombie ratent également le coche. En voulant expliquer « les origines du mal », le réalisateur de La Maison des 1000 morts dénature l’oeuvre de Carpenter en contredisant tout ce qui avait fait le succès de l’original : on assiste à la description de l’enfance du tueur ainsi qu’à une accumulation des poncifs du gore (la suite, Halloween 2 (2009), ne faisant guère mieux). Décidément, il n’y a qu’une seule fête d’Halloween qui vaille la peine d’être vécue, c’est celle de Big John!

Alors qu’aujourd’hui pullulent des oeuvres de série B surfant sur la vague d’Hostel (2005) d’Eli Roth et de Saw (2004) de James Wan, des DTV à la pelle, du torture porn affichant fièrement ses mentions « unrated » (bien que le genre semble de moins en moins à la mode), il semblerait que le cinéma de genre s’épuise, paradoxalement, dans le consensuel. Lui qui savait être si bravement transgressif! Qu’en sera-t-il des futurs classiques de notre époque ? Hostel et Saw figureront-ils un jour au palmarès du genre au côté de The Thing (1982) et d’Halloween ? Ne désespérons pas, il reste toujours des titres comme House of the devil (2010) pour raviver la flamme.

Halloween (1978) : Fiche technique

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2 commentaires

  1. olivier olivier dit :

    Revu hier, je re-adhère! Michael Myers debout dans le jardin, entre les habits qui sèchent…totalement glacial!

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